LES CHIENS COMME ACTEURS ACTIFS DU TRAVAIL DANS LE DOMAINE DE L’ODOROLOGIE POLICIÈRE

Dogs as active actors in work in the field of human scent identification
The purpose of this text is to present a set of arguments showing that the status of dogs working in the field of human scent identification should not be midway between “a living work instrument” and “an actor in work” as it is considered now. Dogs should be clearly recognized not only as actors in work in this field, but also as “active actors”, because the type of work that human scent identification requires is not based on forcing dogs to work, but on their voluntary and autonomous cooperation, which can arise only thanks to a solid and stable bond between the trainer and his dog.

Keywords: human scent identification, criminalistics, working dogs, actor in work, active actor in work

L’odorologie policière est « une technique criminalistique permettant d’effectuer l’identification de l’odeur individuelle d’une personne et de la trace odorante que cette personne a créée sur une scène d’infraction[1] ». La comparaison des traces odorantes (TO) prélevées sur la scène d’infraction avec l’odeur corporelle (OC) du suspect[2] est rendue possible grâce à des chiens spécialement éduqués et entraînés. En pratique, cela veut dire que, d’abord, on donne au chien policier à flairer l’OC prélevée sur un suspect et conservée dans un bocal. Ensuite, le chien la compare aux sept TO dans les bocaux alignés devant lui, dont l’une provient de la scène d’infraction. Le chien effectue quatre comparaisons pendant lesquelles l’emplacement des TO dans la ligne de travail n’est jamais le même (une des quatre comparaisons est effectuée sans que la TO de l’affaire (TOA) soit placée parmi les sept bocaux[3] dans la ligne [ligne dite « vide »]). Si le chien identifie trois fois l’OC flairée avec la TOA dans la ligne, on peut conclure à une reconnaissance d’odeur (l’OC flairée est identique à l’OC contenue dans la TOA recueillie sur la scène d’infraction[4]). Cette reconnaissance d’odeur peut ensuite faire partie d’un faisceau de preuves indirectes pouvant aboutir à une condamnation.

Les chiens spécialisés en odorologie doivent obtenir tous les ans une validation les autorisant à continuer à exercer leur métier l’année à venir. En mars 2015, le règlement de l’examen de validation a subi d’importantes modifications, présentées à l’époque en termes de réforme (cf. la partie 1). Cette modification a fini par avoir des conséquences inattendues : alors que normalement, le nombre d’échecs aux épreuves de cet examen ne s’élevait qu’à quelques cas individuels, après la réforme, l’odorologie tchèque s’est retrouvée en pénurie flagrante de chiens : sur la totalité des chiens (42), seulement un tiers a été validé pour l’année suivante.

L’objectif de notre texte sera d’expliquer que l’une des causes principales[5] de cette réforme manquée était le fait que l’odorologie tchèque ne disposait pas (et ne dispose toujours pas) d’une conception cohérente du statut du chien[6]. Nous pensons qu’une définition plus claire de ce statut permettrait à l’odorologie de construire une base plus solide vis-à-vis d’éventuelles mises à jour de la technique et d’éviter des problèmes de ce type. L’incohérence du statut du chien consiste en ce qu’il oscille entre le statut d’un outil vivant (moyen vivant de travail) et ce qu’on pourrait appeler « acteur du travail » (partie 1). Notre réflexion concernant le statut du chien n’est pas seulement une réflexion personnelle, mais s’inspire également des ouvrages de la sociologue Jocelyne Porcher[7] et du projet de recherche transdisciplinaire portant sur la place des animaux dans le travail (le projet COW coordonné par J. Porcher) qui a été lancé en France en 2012[8]. L’objectif des chercheurs réunis autour de ce projet était, justement, de vérifier leur hypothèse audacieuse, « appuyée sur des résultats préliminaires, que les animaux sont non seulement des objets du travail mais qu’ils en sont aussi des acteurs[9] ». En nous appuyant sur nos expériences professionnelles acquises au Groupe odorologie (GO) de Prague-Tuchoměřice (Jaroslav Mareček, Pavel Kos[10]), nous souhaitons présenter ici un nombre d’arguments en faveur de la définition du statut du chien en tant qu’acteur du travail (partie 2), voire même en tant que ce que nous appellerons « acteur actif » du travail (partie 3) dans le sens où le chien résiste aux tentatives d’objectivation par sa façon d’être : il reste ce qu’il est en tant qu’être « au croisement de trois histoires d’importance diverses : phylogénétique, culturelle et individuelle[11] » et se défend contre une aliénation excessive, allant jusqu’à la nécessité pour l’homme d’adapter les règles du travail à l’individualité du chien, ce qui fait du chien un élément façonnant le processus de travail. Car non seulement l’hypothèse du chien en tant qu’acteur se confirme dans le domaine de l’odorologie, mais vient encore se compléter par une constatation que plus on demande aux chiens d’être autonomes (ce qui est le cas des chiens en odorologie), plus leur individualité entre « en jeu », exigeant une adaptation individuelle des règles générales du travail aux traits individuels du chien (partie 3). Comme l’a montré la crise de l’odorologie en 2016, ignorer ce fait lors d’éventuelles mises à jour de la technique[12], notamment dans la volonté de garantir davantage d’objectivité, risque de devenir nuisible pour l’avenir de l’odorologie.

Statut actuel ambigu du chien dans l’odorologie tchèque et ses conséquences

Jusqu’à nos jours, « le travail était le propre de l’homme et l’animal était de facto exclu du monde du travail en tant qu’acteur à part entière ; tout au plus était-il considéré comme un moyen pour effectuer des tâches[13] ». Comme nous venons de signaler ci-dessus, en odorologie il est plus juste de constater que le statut du chien reste à mi-chemin entre deux pôles opposés, à savoir celui d’objet (outil) utilisé en vue d’effectuer un travail et celui d’une subjectivité effectuant le travail par ses propres moyens (acteur du travail). On constate cette ambiguïté terminologique et théorique notamment dans la littérature, et dans une certaine mesure aussi dans les instructions régissant le travail. Dans la littérature, les chiens sont considérés d’une part comme « biodétecteurs », ce qui est un terme renvoyant plutôt à l’idée d’un outil vivant (« Le premier moyen utilisé dans la pratique criminalistique actuelle est exclusivement l’organe olfactif du chien spécialement entraîné, exerçant la fonction de biodétecteur[14] ») ; d’autre part, l’« utilisation de la physiologie des organismes vivants, notamment des chiens » dans l’odorologie criminalistique est clairement rangée du côté des « méthodes subjectives[15] », ce qui en fait une technique pas forcément moins fiable que les méthodes objectives (utilisation d’appareils permettant une analyse spectrale des odeurs, incapables, jusqu’à présent, d’identifier l’OC individuelle). En criminalistique, on recourt souvent aux méthodes subjectives telles que : témoignages, évaluation psychologique de la fiabilité des témoins, évaluation des résultats du détecteur de mensonges, etc. Dans les instructions régissant la mise en œuvre de la technique odorologique, la tâche du chien relève plus clairement de celle d’acteur du travail, bien que ce ne soit pas explicite. Dans l’Instruction n°9/2009 du directeur de la Direction de la police de l’ordre public (DPOP), on peut lire que « […] le chien effectue la distinction des odeurs[16] » (non pas par exemple que « le maître-chien effectue la comparaison à l’aide du chien ») ; « si le chien désigne le bocal comparé, l’emplacement de celui-ci est modifié[17] […] » (non pas par ex. que « le maître-chien sélectionne le bocal comparé à l’aide du chien »). Plus loin, il est implicitement reconnu que l’utilisation du chien comme un pur biodétecteur en salle serait trop réducteur : « L’activité exercée par les chiens est très stéréotypée. Pour compenser ce facteur désavantageux, le maître-chien doit maintenir les chiens en condition physique dans un environnement convenable[18]. » L’Instruction n°145/2014 du directeur de la Direction générale de la police nationale tchèque (DGPNT), superposée aux autres instructions, mentionne aussi la condition psychique du chien qui risque de souffrir de la monotonie des tâches : « Pour assurer la qualité des tâches cynotechniques[19], il faut tenir compte de la condition physique et psychique des chiens policiers, notamment dans le cas particulier des chiens policiers qui exercent des tâches stéréotypées (par ex. des tâches en salle d’odorologie)[20]. »

La question des règlements nous ramène au sujet de la réforme de l’examen de validation mentionnée ci-dessus, mise en place par l’Instruction n°28/2015 du directeur de la DPOP qui est entrée en vigueur en mars 2015. L’objectif des changements dans le cadre de la réforme était d’éliminer les risques de « l’impact des faits constatés lors du déroulement de l’examen de validation au centre d’entraînement de Bílá Hora sur l’application de la méthode de comparaison des odeurs humaines dans la pratique courante[21] » (ces risques n’ont jamais été clairement explicités). En faisant prévaloir le prescrit sur le réel[22], c’est-à-dire le souhaité sur le faisable, l’Instruction n°28/2015, a renforcé l’interprétation réifiante du statut du chien. Une description succincte des différences principales entre les deux examens de validation avant et après mars 2015 fera mieux ressortir cette orientation plus marquée vers la réification du chien : 1) Jusqu’en 2015[23], les chiens étaient validés lors d’un cours de validation d’une durée de 4 semaines au Centre national de formation des unités canines de Bílá Hora u Plzně (CNFUC). Pendant leur séjour au CNFUC, leurs capacités et leurs aptitudes étaient observées par le moniteur du CNFUC. Pendant la dernière semaine de ce cours, chaque chien devait passer un examen de validation. Si le chien n’était pas en forme, l’examen pouvait être reporté à un autre jour de la semaine. Par ailleurs, lors des quatre semaines du cours, l’organisation de cet examen ne comportait pas un décalage accru entre le prescrit et le réel. 2) Après le 30 mars 2015, l’examen devait se dérouler en un seul jour dont la date devait être fixée par avance pour chaque GO régional (ne prenant plus en compte la forme des chiens, à l’exception d’une maladie diagnostiquée concrète). En outre, il y avait un autre problème qui venait compliquer le déroulement de l’examen et la performance des chiens, à savoir un prélèvement des OC et des TO non-conforme aux instructions en vigueur régissant le prélèvement. Le déroulement de cet examen aurait comporté aussi de nombreuses autres irrégularités que nous avons analysées ailleurs[24].

Les résultats obtenus au nouvel examen étaient alarmants : sur 42 chiens en exercice toujours en janvier 2015, seuls 14 ont été validés et restés utilisables pour la technique odorologique, dont encore 7 étaient alors hors service actif, car engagés dans un projet de recherches organisé par la DGPN tchèque. Au vu du nombre très élevé d’affaires à traiter annuellement[25], cette pénurie en chiens qui devait durer jusqu’à l’examen suivant (dont le résultat positif n’était pas garanti) peut, à juste titre, être désignée comme période de crise dont l’impact n’était pas négligeable ni sur le plan humain ou économique[26] ni du point de vue de la vie du chien : un nombre très limité de chiens ayant réussi l’examen de validation a été obligé de reprendre un grand nombre d’affaires à traiter ce qui a augmenté le risque de surmenage des chiens, parfois irréversible (à Tuchoměřice, sur 5 chiens, il n’est resté qu’un seul chien validé à l’époque[27]). Il est à noter en cette occurrence, que l’entraînement continu et un travail consistant presque exclusivement en traitement des affaires réelles ne sont pas comparables au niveau du stress ressenti par le chien. Au bout de deux ans, la réforme de l’examen qui s’est révélée totalement inadaptée aux aptitudes des chiens car ne correspondant pas à la méthodologie de leur entraînement a dû être annulée.

L’instruction n°28 entremêlait les deux aspects différents du statut du chien : 1) elle reconnaissait les chiens implicitement comme des êtres potentiellement faillibles dont les aptitudes doivent être évaluées et validées (en cela, ils diffèrent d’un appareil calibré, capable de mesurer ce pour quoi il a été conçu et fabriqué) ; 2) elle les imaginait aussi infaillibles que des appareils – notamment le jour de l’examen, sous peine d’élimination (bien qu’en pratique, on ne fasse pas travailler le chien qui ne se sent pas en forme[28]).

Définir le chien comme acteur semble être une façon de prévenir un écart trop important entre conception et faisabilité à l’avenir. Dans la partie suivante, nous présenterons un nombre d’arguments justifiant l’explicitation du statut du chien en tant qu’acteur du travail et nous en proposerons la première partie de sa définition possible.

Arguments en faveur du statut du chien en tant qu’acteur du travail

Avant de justifier pourquoi le terme « acteur du travail » nous semble mieux caractériser le rôle du chien en odorologie que celui d’« outil (vivant) », expliquons pourquoi ce dernier est inconvenant dans ce contexte. Implicitement présent dans le terme de « biodétecteur » (voir ci-dessus) et explicitement utilisé dans la littérature consacrée aux chiens de travail[29], le terme « outil vivant » nous paraît erroné notamment de deux points de vue suivants : 1) il traduit seulement une dissymétrie à sens unique entre l’homme et le chien (l’homme-maître et le chien-maîtrisé, la dépendance du chien de l’homme) bien que dans le domaine de l’odorologie, on puisse trouver d’autres dissymétries qui ne vont pas dans ce sens (notamment la dépendance de l’homme pour ce qui est de la comparaison des odeurs effectuée de façon autonome par le chien). L’unidirectionalité du terme « outil » dissimule la richesse et la complexité d’interactions qui ont réellement lieu entre le maître-chien et le chien pendant le débourrage, l’entraînement ainsi que pendant le travail. 2) Tout en étant complété du qualificatif « vivant », le terme « outil » renvoie toujours inévitablement à l’idée moderne de l’animal-objet, héritière de l’idée post-cartésienne (malebranchienne[30]) de l’animal-machine, bien qu’il soit déjà admis dans nos sociétés que les animaux ne sont pas des biens meubles[31]. On peut certes tenter de ravaler des êtres vivants (y compris l’homme) à un moyen ou outil de travail (comme « outil par essence[32] »), mais le fait qu’ils soient, justement, vivants ne cesse de poser des obstacles à cette tentative en termes de comportement ou « activité[33] », individuel et spontané. Car si le terme « outil » évoque un instrument dont l’utilisation se restreint à un nombre précis de fonctionnalités (détecteurs et analyseurs d’odeurs utilisés en chromatographie en phase gazeuse, par exemple), ne constituant rien d’imprévu ni de contingent, sauf un éventuel risque de dysfonctionnement, le terme « vivant » renvoie à tout son contraire. Il est à noter, en cette occurrence, qu’à la différence des outils que l’homme conçoit et adapte généralement en fonction du travail à faire, en recourant au travail animal, c’est la procédure de travail qu’il doit adapter aux qualités et aux besoins de ceux-ci, non l’inverse[34]. Sans les qualités olfactives et comportementales exceptionnelles de certains chiens dans l’histoire du travail des chiens policiers de recherche (au sens lestelien du terme « l’animal singulier[35] »), l’homme n’aurait à vrai dire jamais pu mettre en place la technique odorologique[36].

Le terme « acteur » nous semble remédier à ces défauts d’« outil vivant » : le sens commun figuré du mot « acteur » (« celui qui joue un rôle important, qui prend une part active à une affaire[37] ») ainsi que la définition « sur mesure » pour l’« animal acteur » – « être vivant qui sent, éprouve, s’adapte, agit[38] » prévient toute réinterprétation du rôle de l’animal en tant que mécanisme biologique et fait mieux ressortir le fait qu’au travail, les chiens, tout comme les autres animaux coopérant avec l’homme, ont « un pouvoir d’action important, dont l’humain doit tenir compte, à la fois comme aide dans les buts qu’il se propose d’atteindre et comme obstacle ou résistance dans les voies qu’il envisage d’emprunter[39] ».

Quel pouvoir d’action le chien manifeste-t-il en odorologie ? Nous tenterons de répondre à cette question en nous appuyant sur deux définitions du travail qui, en se complétant, caractérisent, à nos yeux, d’une manière appropriée, le travail effectué en commun par les maîtres-chiens et les chiens en odorologie : 1) travail comme « activité vitale, […] comme un moyen en vue de satisfaction […] du besoin de conserver l’existence physique[40] », que l’homme partage avec les animaux, sauf que, chez lui, l’activité vitale devient consciente et, comme telle, créatrice de nouveaux besoins qu’il cherche à satisfaire par d’autres formes de travail[41]. 2) Travail comme une « activité » déployée pour « suppléer à ce qui n’a pas été prévu, aux insuffisances et aux contradictions dans les consignes, les modes opératoires ou le système technique[42] », en contradiction à la tâche comme « ce qui devrait être fait selon les consignes données[43] ». – Car en odorologie aussi se conjuguent, et s’affrontent, la tâche prescrite et sa mise en œuvre ou même sa faisabilité : d’une part, les concepteurs de la technique aspirent à un maximum d’objectivité (un prélèvement d’odeurs, de traces, leur conservation et leur comparaison strictement réglementés) pour rendre les résultats les plus probants possible devant juges et avocats ; d’autre part, cette technique est mise en œuvre par deux acteurs – deux subjectivités : humaine (techniciens, maîtres-chiens) et canine qui s’entraident mais se posent aussi des obstacles en cherchant à satisfaire, par le travail, des besoins qui ne sont pas toujours compatibles.

Qu’en est-il de la tâche prescrite pour les chiens en salle ? – 1) Le chien doit passer le test d’« intérêt accidentel » : on donne à flairer au chien une odeur n’ayant aucun trait à l’affaire (odeur lambda). Le poste de la trace odorante provenant de la scène d’infraction est placé dans la ligne de travail parmi les six autres postes, le chien qui cherche la TO correspondant à l’odeur lambda, ne doit manifester aucun intérêt pour la TO de l’affaire (TOA). Dans le cas contraire, cela signifierait que la TOA a pour lui une attractivité n’ayant aucun trait à la tâche. Dans ce cas-là, le chien est éliminé sous risque de sélectionner la TOA pour d’autres raisons que pour la raison de l’identification de celle-ci à l’odeur corporelle (OC) du suspect. 2) Après avoir passé ce test préalable, le chien reçoit à flairer le tissu avec l’OC du suspect et la compare ensuite aux 6 TO-leurres (prélevées, si possible, sur les mêmes types de surfaces que la TOA[44]) et à la TOA, dont il ne connaît pas l’emplacement par avance. Pendant cette procédure, il doit garder l’odeur flairée en mémoire. 3) S’il se couche auprès du bocal contenant la TOA, c’est le premier indice que l’OC du suspect pourrait être identique à cette TOA. Dans ce cas-là, le chien est loué par son maître et récompensé par une biscotte. 4) Le chien répète ce processus trois fois, l’emplacement de la TOA étant à chaque fois modifié (une ligne reste « vide », cf. supra). Ce processus est répété en entier pour comparer toutes les TOA prélevées sur la scène d’infraction.

Cette tâche prescrite est pour le chien – tout rigoureusement entraîné qu’il soit – très exigeante (car stressante) par un degré d’« aliénation[45] » élevé par rapport 1) à l’endroit où il rencontre habituellement les odeurs (en ballade dans un parc, sur la voie publique, etc., ce qui contraste avec son travail dans la salle désodorisée où les odeurs à comparer sont conservées sur du tissu absorbant, placé en bocal) ; 2) à sa spontanéité naturelle qui le porte à s’intéresser habituellement aux odeurs rencontrées en dehors de la salle de travail (ce qui contraste avec l’obligation d’assumer la monotonie de la procédure) ; 3) à une constance relative des odeurs connues du chien qui assure la sécurité et la stabilité de son milieu de vie (ce qui contraste avec l’absence de stéréotype concernant les odeurs comparées en salle de travail, qui lui sont inconnues et dont la configuration change constamment et de façon imprévisible dans chaque ligne de travail). NB : À la différence du chien travaillant, par exemple, dans le domaine de la recherche de stupéfiants ou d’explosifs, qui est obligé de mémoriser un répertoire stable d’une dizaine de substances chimiques, le chien en odorologie doit constamment recourir à une mémoire à court terme, c’est-à-dire ne mémoriser l’OC comparée que dans le cadre du travail sur l’affaire traitée ; 4) à son intérêt naturel pour des odeurs attractives (mais l’OC doit l’intéresser par rapport à la tâche reçue, non par son attractivité indépendante de la tâche ; cf. supra le test d’intérêt accidentel.

Le taux de stress du chien peut être lié aussi 1) à la qualité très variable et imprévisible des TOA, car le taux de molécules d’odeur humaine contenues dans la TOA varie selon que la TOA a été prélevée à la bonne place ; que l’empreinte odorante était forte ou faible ; qu’elle contenait un taux élevé de molécules d’odeurs parasites ; qu’elle a été prélevée et conservée correctement par le technicien et enfin selon qu’elle n’a pas été incorrectement manipulée lors du processus de travail[46]. Il faut par ailleurs tenir compte du fait que toute odeur « à découvert » s’évapore constamment[47]; 2) à la différence entre les affaires réelles et les tâches d’entraînement qui apporte une ambiance émotionnellement moins tendue et les récompenses plus régulières.

L’exécution de cette tâche complexe demande au chien – tout entraîné qu’il soit – de faire preuve de deux caractéristiques que le chien-acteur du travail doit absolument posséder en odorologie : 1) la volonté de coopérer avec l’homme malgré ce degré élevé d’aliénation et de stress que son travail comporte ; il doit être mis en exergue qu’à la différence d’autres métiers cynophiles, le chien ne peut être forcé à cette coopération, l’utilisation de la force étant même bannie puisqu’elle serait contre-productive par décrédibilisation des résultats ainsi obtenus (pour apprendre au chien la technique de comparaison des odeurs, le maître-chien utilise uniquement la méthode de conditionnement ou renforcement positif[48]) et 2) l’autonomie : c’est le chien qui effectue la comparaison sans aucune influence du maître-chien et lui en communique le résultat. Il doit donc être capable d’émettre toute une série de jugements : a) négatifs : l’odeur corporelle du suspect (OCs) n’est identique à aucun des leurres ; l’OCs n’est pas identique à la TOA, b) un jugement positif : l’OCs est identique à la TOA. Personne d’autre ne peut le faire à la place du chien (l’identité des odeurs et des traces odorantes n’étant connue du maître-chien que pendant l’entraînement). L’homme ne peut se fier qu’à l’odorat du chien, en se référant aux fiches techniques.

Pour pouvoir devenir autonome, le chien doit passer par un entraînement rigoureux[49] (1,5-2 ans), en disposant – en plus d’un bon état de santé – de tout un répertoire de qualités innées, dont notamment intelligence de travail développée, système nerveux solide, intérêt pour le rapport d’objet, bon appétit naturel, qualités olfactives performantes. Mais sa volonté de coopérer avec le maître-chien et devenir par la suite autonome en salle repose sur la satisfaction de ses besoins individuels qu’on peut diviser en a) besoins prévisibles, correspondant à son espèce et à sa race et aux qualités spécialement requises par l’odorologie, mais dont le seuil de frustration change d’un chien à l’autre, et b) besoins imprévisibles, correspondant à ses qualités non-requises et contingentes.

Explicitons les deux points : a) Les besoins prévisibles du chien en tant qu’espèce et race se traduisent par l’accès aux quatre types de ressources principales : alimentaires, spatiales (lieu où le chien peut se maintenir en sécurité), sociales (contact régulier avec ses congénères[50]), relationnelles (environnement plurispécifique stable comportant des humains ou membres des autres espèces animales). Dans le contexte de la technique odorologique, le « réseau de relations » nécessite d’être particulièrement souligné. Dans le milieu du GO, ces besoins sont satisfaits par les relations du chien avec son maître-chien et son deuxième chien[51], et potentiellement aussi avec l’équipe et les autres chiens du GO. Avec chacun de ces membres du groupe stable, le chien crée une relation dyadique (répétition d’interactions entre deux partenaires), dont celle avec son maître-chien qui doit devenir privilégiée[52]. Si un de ces besoins précités n’est pas satisfait (stabulation inconvenable, repos insuffisant, absence prolongée du maître-chien, etc.), cela risque d’affecter le bien-être du chien et de perturber son autonomie et sa volonté de coopérer avec le maître-chien. Il est à noter que la tolérance de frustration de ces besoins change d’un chien à l’autre. b) Les besoins individuels générés non seulement par ce seuil de frustration individuel de chaque chien, mais aussi par ses qualités non-requises pour l’odorologie, sont contingents, donc difficilement prévisibles, mais connaissables par le maître-chien au fur et à mesure d’une coopération patiente et attentive. Certaines caractéristiques contingentes vont empêcher les chiens d’être qualifiés pour le travail en odorologie : incompatibilité avec le métier (tempérament trop peureux, trop colérique…) ou avec la personnalité du maître-chien (tempérament similaire à celui de son maître-chien…). D’autres caractéristiques, par contre, sont tolérées et prises en compte malgré le fait qu’elles entrent parfois en contradiction avec la tâche prescrite. Citons quelques exemples : certains chiens aiment travailler tenus en laisse, d’autres détestent la laisse en salle (bien qu’en République tchèque – à la différence de la France, par exemple – la procédure de travail requiert l’utilisation de la laisse) ; certains chiens aiment lécher les bocaux pour mieux capter l’odeur, certains n’identifient presque jamais l’odeur en première ligne (s’en font d’abord une « image » intérieure et ne sont capables de reprendre la comparaison avec efficacité que lors d’un deuxième passage), la procédure ne permettant cependant pas officiellement de refaire la première ligne ; certains n’aiment pas les tâches trop faciles, s’ennuient et font de fausses alertes (fausses identifications). Pour ce qui est du seuil de frustration individuel : certains chiens se fatiguent plus tôt que d’autres, certains sont très performants, etc. Ces variations de besoins individuels se révèlent déjà pendant les entraînements de formation, et les maîtres-chiens ne peuvent ignorer ni réprimer ces comportements sous le risque d’empêcher le chien de travailler de façon volontaire et autonome. Ce pouvoir d’action qu’il a en tant qu’individualité influence la procédure de travail et fait de lui ce qu’on peut appeler « acteur actif ». La définition que nous en proposerons dans la troisième partie vient compléter celle du statut du chien en tant qu’acteur, donnée ci-dessus.

Chien en odorologie comme acteur actif

Nous empruntons ce qualificatif « actif[53] » à Marx dont la définition du travail en termes de satisfaction de besoins vitaux a déjà été utilisée ci-dessus. Marx utilise le terme « actif » pour distinguer le travailleur exerçant un travail « librement voulu » de celui qui fait du « travail forcé[54] ». Le travail forcé « n’est donc pas la satisfaction d’un besoin, il est au contraire seulement un moyen en vue de satisfaire des besoins extérieurs au travail[55] ». L’animal peut – d’après lui – se sentir véritablement actif uniquement dans les activités vitales comme « [m]anger, boire, procréer, etc. » qui « sont certes également des fonctions véritablement humaines », sauf que l’animal « en fait les derniers et uniques buts finaux », précise Marx[56]. Avec nos connaissances actuelles, on ne saurait plus affirmer que les activités vitales des animaux se limitent aux seules activités nutritives et sexuelles. On a vu précédemment que l’un des besoins vitaux du chien est aussi l’accès à des ressources sociales et relationnelles, dont notamment un lien affectif dyadique stable et solide avec son maître-chien, sans lesquelles le chien ne peut se développer correctement[57]. De la pensée marxienne, nous souhaitons cependant retenir d’une part, l’importante différence entre le travail forcé et le travail volontaire, et d’autre part, l’appréhension de l’activité vitale comme une activité effectuée de façon librement voulue, qui nous semblent saisir la particularité du travail canin en odorologie, qui – reposant justement sur la libre volonté du chien de coopérer avec l’homme – ne relève pas de la catégorie du travail forcé. On a vu ci-dessus que cette volonté de coopération se développe sous l’unique réserve que le chien se sente durablement à l’aise pendant son interaction avec le maître-chien veillant attentivement à la satisfaction de ses besoins. C’est ainsi que cette expérience ressentie comme gratifiante par le chien se transforme en un désir de revivre cette interaction, en vue de voir satisfaire son besoin vital de relation affective dyadique. Toute proposition de participation aux activités pendant lesquelles il peut partager des moments positifs avec son maître – parmi lesquels un travail récompensé par des louanges et des récompenses alimentaires – en constitue une occasion bienvenue. De cette expérience positive et donc souhaitée comme répétitive naît aussi le désir du chien de résoudre des tâches de comparaison des odeurs comme une sorte de rébus stimulant[58] qui devient, par la suite, son autre motivation pour travailler. Ainsi ce besoin, basé certes sur l’intérêt inné du chien pour l’utilisation de l’odorat mais mis à l’épreuve de façon très artificielle et aliénée par rapport à la façon dont le chien s’intéresse normalement aux odeurs (cf. partie 2), cesse d’être son besoin vital (l’utilisation de l’odorat pour la recherche des membres de son groupe, de la nourriture, éventuellement d’une proie…) et devient un besoin transformé. Le désir du chien de le voir satisfait reste cependant toujours lié à la présence de son maître-chien, car sans lui, la comparaison des odeurs ne l’intéresse pas[59].

Ne pouvant y être forcé, le chien est donc motivé de façon non-contraignante à transformer son comportement individuel pour rendre possible l’exécution de la tâche prescrite. Au fur et à mesure de son interaction avec le maître-chien, il lui fait découvrir ce qu’il peut faire, quelles sont les potentialités de ses capacités individuelles ou « capabilités[60] ». Dans ce contexte, le terme « construire » s’avère plus précis que celui de « transformer ». Le maître-chien, interprète attentif des besoins et des activités du chien, doit apprendre à connaître et à accepter la façon individuelle qu’a celui-ci de construire son rôle. Par la suite, il doit construire son propre rôle dans le sens de celui du chien, tout en maintenant la dissymétrie entre le sien qui est de veiller à ce que l’objectif de la tâche prescrite soit atteint, et celui du chien qui l’exécute. Si le maître-chien ne connaît pas ou ne respecte pas ses particularités et son seuil de frustration individuels, le chien peut finir par se désintéresser du travail (cf. la note 26), tomber malade, éventuellement manifester un effort vain en faisant de fausses alertes. Le principe du travail odorologique conduit le maître-chien à faire en sorte de permettre à son chien de devenir acteur du travail actif, non pas un exécuteur de ses ordres. On voit ici se mettre naturellement en œuvre ce qui est défini, en éthologie, comme « approche bi-constructiviste[61] ». Selon cette approche, l’animal « constitue son propre monde à travers [s]es agencements » et « l’éthologue [ici : le maître-chien construisant empiriquement son « épistémologie minoritaire[62] »] construit ce rapport de l’animal à son monde en constituant lui-même son propre rapport à l’animal à travers ces agencements[63] ».

Conclusion

Si tous les « animaux de travail » sont des acteurs du travail possédant, en tant qu’êtres vivants individuels, un pouvoir d’action significatif sur la procédure de travail en termes d’« aide » ou d’« obstacle ou résistance » (voir notre définition supra), toutes les sortes de travail ne leur permettent pas de devenir des acteurs actifs, comme c’est le cas de l’odorologie. Plus les résultats du travail dépendent du travail autonome et non contraint du chien, plus son individualité entre « en jeu » (ou « en travail », pourrait-on dire).

Le souci d’assurer le contrôle le plus objectif possible de l’exécution de la tâche prescrite ne devrait pas mener à une objectivation trop serrée du processus de travail sous risque de se révéler, par la suite, contre-productif. Les consignes ne devraient pas perdre de vue la faisabilité de la tâche, régie par le principe bi-constructiviste décrit ci-dessus. L’interprétation des résultats obtenus grâce à cette technique devrait rester prudente, prenant en considération non seulement des facteurs techniques incontrôlables qui peuvent influer négativement sur les performances des chiens comme notamment la qualité variable de la TOA (taux faible de molécules laissées par le suspect sur la scène d’infraction, taux d’évaporation qui varie en fonction de l’heure du prélèvement et des conditions physico-chimiques de la scène d’infraction. Cf. supra). Elle devrait également prendre en compte la psychodynamique du travail qui est effectué par deux êtres sensibles et faillibles – hommes et chiens. Toute mise à jour de la technique, y compris son éventuelle standardisation à l’échelle européenne[64], devrait y prêter attention.

BIBLIOGRAPHIE
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[1])  L’Instruction n°9/2009 du directeur de la Direction de la police de l’ordre public, IVe partie, art. 44.
[2])  On peut également prélever les OC aussi sur d’autres personnes qui ont un trait direct à l’affaire concrète : personnes lésées, volées, etc. Nous utilisons le mot « suspect » dans notre texte en vue d’en faciliter la lecture.
[3])  En France, les lignes de travail ne comptent que cinq bocaux (cinq postes). Par contre, la police utilise systématiquement deux chiens pour effectuer la comparaison.
[4])  Les odeurs peuvent aussi être comparées, si besoin est, dans les autres sens : TO-OC, OC-OC et TO-TO.
[5])  Sur l’analyse des autres causes, voir SMOLOVÁ, O. : Crise de l’odorologie en République tchèque : ses causes et son impact sur les ressources humaines du Groupe Odorologie de Tuchoměřice prenant en compte l’éthologie du chien, Mémoire de Master Droit, Économie, Gestion, Université Jean Moulin Lyon 3, I.A.E. de Lyon et Institut Franco-Tchèque de Gestion, Année 2015/2016.
[6])  Par le mot « chien(s) » nous nous référerons uniquement aux chiens employés en odorologie sauf si spécifié.
[7])  PORCHER, J. : The work of animals: a challenge for social sciences [en ligne]. In Humanimalia, 2014, vol. 6, n°1 ; Vivre avec les animaux. Une utopie pour le XXIe siècle. Paris : La Découverte, 2011 ; Éleveurs et animaux, réinventer le lien. Paris : PUF, 2002.
[8])  Cf. PORCHER, J. : Projet COW, Compagnons animaux : conceptualiser les rapports des animaux au travail [en ligne]. URL : http://www.agence-nationale-recherche.fr/suivi-bilan/editions-2013-et-anterieures/recherches-exploratoires-et-emergentes/blanc-generalite-et-contacts/blanc-presentation-synthetique-du-projet/?tx_lwmsuivibilan_pi2%5BCODE%5D=ANR-12-BSH1-0004 [Consulté le 15/09/2017].
[9])  Ibid.
[10])  Nous tenons à remercier, en cette occurrence, Josef Bukvaj, maître-chien possédant 35 ans d’expérience professionnelle en odorologie, pour ses remarques pertinentes portant sur notre sujet. Nous sommes également reconnaissants à Olivier Brégéras, le chef du GO d’Ecully, de toutes les informations qu’il nous a fournies sur la technique odorologique telle qu’elle est mise en œuvre en France.
[11])  LESTEL, D. : What Capabilities for an Animal ? In Biosemiotics, 2011, 4e année, n°1, p. 84.
[12])  « Ce n’est pas la technique même qui pose problème, mais la nécessité de la perfectionner continuellement. » STRAUS, J. – KLOUBEK, M. : Kriminalistická odorologie. Plzeň : Vydavatelství a nakladatelství Aleš Čeněk, 2010, p. 5.
[13])  Les propos du sociologue Sébastien Mouret cités in CAILLOCE, L. : Les animaux travaillent-ils ? In CNRS Le journal (8 avril 2016) [en ligne]. URL : https://lejournal.cnrs.fr/articles/les-animaux-travaillent-ils [Consulté le 10/09/2017].
[14])  STRAUS, J. – KLOUBEK, M : Kriminalistická odorologie, Op. cit., p. 27. Dans cet ouvrage, le terme « biodétecteur » est utilisé dans le même sens par ex. aussi aux pages 6, 7, 26, 29. Le terme « instrument vivant » est mis cependant entre guillemets, à la p. 98.
[15])  Ibid., p. 6.
[16])  L’Instruction n°9/2009 du directeur de la Direction de la police de l’ordre public, art. 53, alinéa 4.
[17])  Ibid., alinéa 5.
[18])  Ibid., art. 65.
[19])  En tchèque ainsi que dans cette instruction, on utilise le terme « kynologický » [« cynologique »], adjectif dérivé de « kynologie » [« cynologie »]. Nous traduisons ce terme par « cynotechnique », utilisé actuellement dans les mesures actuelles françaises. En France, le terme d’autrefois « cynophilie », employé pour le travail effectué avec les chiens, a été remplacé par le terme « cynotechnie » mettant l’accent sur l’aspect technique de ce métier et éliminant le mot « philie » du grec ancien (philia), signifiant « amour fraternel » ou « lien affectif ».
[20])  L’Instruction n°145/2014 du directeur de la Direction générale de la police nationale tchèque, art. 27, alinéa 4 (souligné par nous).
[21])  Procès-verbal de la réunion de Holešov du 16 avril 2015, cf. SMOLOVÁ, O. : Crise de l’odorologie en République tchèque : ses causes et son impact sur les ressources humaines du Groupe Odorologie de Tuchoměřice prenant en compte l’éthologie du chien. Op. cit.
[22])  Nous adaptons ici la terminologie (« le décalage entre travail prescrit et travail réel ») utilisée par Christophe Dejours et Pascale Molinier dans leur article « Le travail comme énigme ». In Sociologie du travail, 1994, n° hors série, vol. 36, p. 36.
[23])  L’Instruction du directeur de la DPOP n°45/2014, art. 9.
[24])  Cf. SMOLOVÁ, O. : Crise de l’odorologie en République tchèque : ses causes et son impact sur les ressources humaines du Groupe Odorologie de Tuchoměřice prenant en compte l’éthologie du chien. Op. cit.
[25])  Le GO de Prague-Tuchoměřice recevait à l’époque 602 affaires à traiter par an (moyenne arithmétique pour 2013-2015).
[26])  Ibid.
[27])  Un non-respect de la méthodologie de l’entraînement continu ou du travail en salle d’identification, ou le surmenage du chien risquent de réduire à néant les longs mois d’entraînement précédents, car ils peuvent entraîner chez le chien un désintéressement pour son travail (parfois réversible au bout d’une certaine période, mais souvent irréversible) ou des maladies physiques comme par ex. une nécrose intestinale, une torsion de l’estomac. Dans ce cas-là, il est difficile de déterminer la cause de la maladie, mais le stress n’est pas à sous-estimer. Cf. GLICKMAN, L. T. – GLICKMAN, N. W. – SCHELLENBERG, D. B. –  SIMPSON, K. – LANTZ, G. C. : Multiple risk factors for the gastric dilatation-volvulus syndrome in dogs: a practitioner/owner case-control study. In Journal of the American Animal Hospital Association, May 1997, vol. 33, n°3, pp. 197-204 ; le résumé de l’article disponible sur : http://jaaha.org/doi/abs/10.5326/15473317-33-3-197?code=amah-site [Consulté le 26/09/2017].
[28])  En République tchèque ainsi qu’en France, on lui donne à flairer une odeur d’entraînement. Quand il réussit à la reconnaître parmi les TO d’entraînement en ligne de travail, il est considéré comme apte à travailler ce jour-là. En République tchèque, ce test fait partie du test d’intérêt accidentel, cf. supra.
[29])  Cf. SANDERS, C. R. : Avoir confiance en son chien : attentes, fonctions et ambivalence dans les relations entre des policiers, des utilisateurs de chiens-guides et leurs chiens ; SAVALOS, N. : Apprendre au chien et apprendre du chien. Ethnographie de dresseures-utilisateurs de chiens de conduite des troupeaux. In SERVAIS, V. (éd.) : La science [humaine] des chiens. Lormont : Le Bord de l’eau, 2016, p. 179 et pp. 192 et 208.
[30])  Cf. CHAPOUTHIER, G. : Le statut philosophique de l’animal : ni homme, ni objet. In Le Carnet PSY, 2009/8, n°139, p. 24.
[31])  En République tchèque, le statut symbolique des animaux a changé avec la réforme du Code civil en 2014 où l’animal est devenu un « être vivant ». En janvier 2015, le même changement de statut est advenu a en France : les animaux sont désormais « êtres vivants doués de sensibilité ».
[32])  « Le chien de patrouille est par essence un outil (ou une arme) utilisé par le policier. » SANDERS, C. R. : Avoir confiance en son chien : attentes, fonctions et ambivalence dans les relations entre des policiers, des utilisateurs de chiens-guides et leurs chiens. Art. cit., p. 179.
[33])  Cf. LESTEL, D. : What Capabilities for an Animal? Art. cit., p. 84.
[34])  Si les animaux sont réduits à une simple production industrielle de viande ou à un pur matériel de laboratoire (les chiens destinés aux marchés de viande canine ou à certains laboratoires n’échappent d’ailleurs pas complètement à ce destin), on ne saurait plus parler du travail animal au vrai sens du mot.
[35])  LESTEL, D. : L’animal singulier. Paris : Seuil, 2004.
[36])  Les premiers prélèvements de TO en vue de leur conservation en bocaux et leur comparaison future aux OC ont été réalisés dans notre pays déjà en 1899 (meurtre d’Anežka Hrůzová qui a conduit à une vague d’agitations antisémites). RULC, J. –  ŠTAUDINGER, J. –  NEVOLNÝ, P. : Dějiny československé služební kynologie. Vznik a historický vývoj četnické a policejní kynologie, jakož i ostatní služební kynologie na území Československa. Praha : Nakladatelství CanisTR, 2014, pp. 392-395.
[37])  http://www.cnrtl.fr/definition/acteur [Consulté le 05/09/2017].
[38])  BARATAY, E. : Le point de vue animal. Une autre version de l’histoire. Paris : Éditions du Seuil, 2012, p. 44.
[39])  LESTEL, D. : L’animal singulier. Op. cit., p. 55 (souligné par nous).
[40])  MARX, K. : Manuscrits philosophiques de 1844 (traduit par Franck Fischbach). Paris : J. Vrin, 2007, p. 122 (souligné par nous).
[41])  Cf. Ibid., p. 123.
[42])  Définition de P. Davezies, cité in DEJOURS, Ch. – MOLINIER, P. : Le travail comme énigme. Art. cit., p. 37 (souligné par nous).
[43])  Ibid.
[44])  Si la TOA a été prélevée sur le siège d’un bus, parmi les leurres il devrait y avoir aussi des TO prélevées sur un siège d’un bus n’ayant pas trait à l’affaire. En France, c’est la date du prélèvement du leurre qui a la priorité, non le type de surface.
[45])  À défaut d’une définition précise d’un « propre du chien » par rapport auquel il s’aliénerait, nous nous permettons toutefois d’utiliser ce concept marxien pour faire ressortir quelques différences entre les activités des chiens exercées pendant leur repos et celles prescrites par leur travail.
[46])  En France, c’est le rôle du préparateur de briser les scellés et préparer la salle de comparaison ainsi que la ligne de travail. En République tchèque, cette tâche est encore assumée par le maître-chien.
[47])  En France, on essaie d’y remédier en mettant l’accent sur la date du prélèvement des TO leurres (cf. la note 44).
[48])  Les entraînements à l’obéissance sont à éviter puisqu’ils requièrent l’utilisation de la force. Seul le renforcement positif peut être pratiqué pendant l’entraînement du chien : la gratification prend la forme de caresses, de félicitations, d’une friandise offerte (d’un jouet préféré tendu). La punition prend uniquement la forme de la suppression d’un avantage (ne pas donner la récompense à son chien, le priver d’attention, etc.). « Lorsqu’un chien désobéit, il est préférable d’ignorer ses méfaits que de les sanctionner, il est préférable de simplement de ne pas les renforcer […]. La sanction est presque toujours inefficace et très vite contournée par le chien. La mémoire qu’il en garde est l’établissement d’une relation de compétition avec son maître, d’une dispute et d’un conflit. […] ». Si la quantité de sanctions augmente, « la dyade [homme-chien] commence à dysfonctionner, avec une escalade d’agressivité. » VIEIRA, I. : Comportement du chien. Ethologie et applications pratiques. Paris : Les Éditions du Point Vétérinaire, 2015, p. 93.
[49])  Sur l’importance d’un entraînement rigoureux, voir MARCHAL, S. – BREGERAS, O. – PUAUX, D. – GERVAIS, R. – FERRY, B. : Rigorous Training of Dogs Leads to High Accuracy in Human Scent Matching-To-Sample Performance. In Plos One (10 février 2016) [en ligne]. URL : http://dx.doi.org/10.1371/journal.pone.0146963 [Consulté le 24/09/2017]. Cet article rend compte des données consignées depuis 2003 par la Sous-direction de la police technique et scientifique d’Ecully sur les performances des chiens face à une tâche d’identification d’odeurs. Leurs résultats montrent qu’au terme d’un programme d’entraînement de 24 mois, les chiens parviennent à reconnaître l’odeur d’une même personne dans 80 à 90 % des cas, et ne commettent jamais d’erreur en la confondant avec des odeurs de personnes différentes.
[50])  « Le chien fait partie des animaux qui, spontanément, vont chercher à se regrouper […]. Mais regroupement ne veut pas dire socialité. La socialité suppose, non seulement, une attraction et une tolérance intraspécifique, mais, plus encore, une organisation et une permanence de groupe. » VIEIRA, I. : Comportement du chien. Ethologie et applications pratiques. Op. cit., p. 45 (souligné par nous).
[51])  Chaque maître-chien travaille habituellement avec deux chiens.
[52])  VIEIRA, I. : Comportement du chien. Ethologie et applications pratiques. Op. cit., p. 51.
[53])  MARX, K. : Manuscrits philosophiques de 1844. Op. cit., p. 121.
[54])  Ibid., p. 120.
[55])  Ibid.
[56])  Ibid., p. 121.
[57])  Faute de conscience, « l’animal “est en rapport” avec rien, ne connaît somme toute aucun rapport. Pour l’animal, ses rapports avec les autres n’existent pas en tant que rapports », dit Marx. MARX, K. – ENGELS, F. : Idéologie allemande (1848). Trad. fr. 1952, un document produit en version numérique par prof. Jean-Marie Tremblay dans le cadre de la collection : « Les classiques des sciences sociales ». Disponible en ligne : http://classiques.uqac.ca/classiques/Engels_Marx/ideologie_allemande/Ideologie_allemande.pdf, p. 20.
[58])  Cf. STRAUS, J. – KLOUBEK, M. : Kriminalistická odorologie. Plzeň : Vydavatelství a nakladatelství Aleš Čeněk, 2010, p. 96.
[59])  Si nécessaire, il peut s’habituer à un nouveau maître-chien, mais il lui faut une période d’adaptation pour ce faire. En France, les chiens et les maîtres-chiens sont validés en tant qu’équipe : ni l’un ni l’autre n’ont donc pas d’autorisation pour effectuer ce travail avec un tiers sans se faire à nouveau valider avec lui en tant qu’équipe. Dans ce sens ils forment ensemble une sorte de « personne juridique ». En République tchèque, les chiens sont validés séparément (le nom du chien ne figure pas sur l’attestation reçue par le maître-chien), il n’en reste pas moins que chaque chien est toujours affecté à un maître-chien concret.
[60])  « L’animal a des capabilités qui sont propres à l’espèce, au groupe et à l’individu lui-même » et « qui s’actualisent à travers les agencements signifiants qu’ils [les animaux d’une espèce] établissent entre leur écosystème (pris dans un sens large) et eux-mêmes. » LESTEL, D. : What Capabilities for an Animal? Art.cit., pp. 84 et 100.
[61])  Ibid., p. 83.
[62])  Ibid., p. 83.
[63])  Ibid., p. 100.
[64])  ÉTIENNE, V. : L’odorologie policière corroborée par la science, communiqué de presse national [en ligne]. 9 février 2016, Paris, CNRS. URL : http://www2.cnrs.fr/presse/communique/4405.htm [Consulté le 26/09/2017].

Olga Smolová
Traductrice dans le domaine de l’éthique animale,
en projet de thèse doctorale portant sur le travail animal

Pavel Kos
Chef du Groupe Odorologie de Prague-Tuchoměřice

Jaroslav Mareček
Maître-chien possédant 35 ans d’expérience professionnelle en odorologie

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